Volcor Aeris
Cela m’apprendra à être trop arrogant ! Je jubilais tellement d’avoir enfin Dominik Dracul à ma botte que je n’ai pas creusé plus loin. Ses émotions étaient si fortes qu’elles m’ont quasiment sauté à la figure, ce qui, quand on connaît le légendaire sang-froid de l’ancien général des armées vampires, était un signe de son besoin impérieux que je me suis empressé de saisir. Quelle erreur ! Mais je lui en veux tellement depuis la mort de Bella que je n’ai vu que l’occasion de pouvoir le faire souffrir comme je souffre depuis cinquante ans. Chaque jour depuis l’instant honni où sa sœur a été exécutée par sa faute, je rêve à la manière de le punir, mais ai dû
y renoncer pour honorer ma parole donnée à la seule personne que j’ai jamais aimée. Alors, qu’il vienne me demander une faveur était trop beau pour ne pas en profiter : c’était l’opportunité que j’attendais depuis tout ce temps.
Pourtant, une heure plus tard, dans les nouveaux bureaux de la Guilde à High London, je fulmine de rage intérieurement en observant cette humaine : à cause d’elle, je vais devoir renier l’autre
engagement pris envers Bella ! Parce que ce que je craignais est bel et bien la réalité. Je ne peux pas non plus influencer son esprit, tout
comme le Vampire en a été incapable. Toutefois, je me dois d’honorer le vœu émis au risque de perdre mon pouvoir magique : si un Djinn manque à sa parole, sa magie le quitte pour aller renforcer celle de son débiteur. Ce qui est inacceptable, car sans elle, je ne peux maintenir ma forme humaine dans cette dimension. La Grande Guerre a fermé le portail avec celle des démons : nous sommes donc condamnés à prendre de l’essence vitale aux humains pour nous ourrir afin de nous maintenir vu que notre sanctuaire de régénération nous est désormais interdit.
Si je n’avais pas de solutions pour honorer mon contrat, la magie de l’air m’épargnerait peut-être : malheureusement pour moi, il y en a une même si je l’exècre. Pour répondre à la demande de Dominik, je vais devoir me résoudre à l’impensable ! Seuls quelques rares humains ont la capacité naturelle de résister à la magie d’un Supra.
Au point que c’est une légende oubliée pour beaucoup. Mais les Djinns sont les gardiens des savoirs ancestraux du monde occulte et j’étais, avant ma défection, l’historien dans ma communauté dédié aux faits disparus. C’est pourquoi je sais que le seul moyen de forcer une humaine spéciale comme celle-ci est de la faire fusionner avec moi. D’ailleurs, de mémoire, seuls trois cas ont été recensés bien
avant la Grande Guerre. Cette idée me révulse au point de me donner des sueurs froides : Bella était la seule femme avec laquelle j’ai jamais voulu échanger mon fluide magique…
— Qui êtes-vous ? demande la petite blonde face à moi en clignant des paupières. D’où sortez-vous ?
Évidemment, elle était en stase de sang jusqu’à ce que Dominik l’en sorte quelques secondes plus tôt et, pour elle, le temps écoulé n’existe pas. Elle est restée là où elle en était avant la morsure
du Vampire.
— Lindsay m’a demandé mon aide, l’informé-je d’un ton neutre alors que j’ai envie de hurler.
Afin d’obtenir plus facilement la coopération de cette Zelda, il a été convenu que je me présenterais comme un envoyé de son amie : elle fera certainement plus confiance à un inconnu recommandé par
elle que par Dominik qu’elle connaît à peine.
— Votre aide pour quoi ? demande-t-elle un peu interloquée en levant encore plus la tête afin de chercher mon regard.
Malgré ses hauts talons, elle m’arrive à peine à l’aisselle.
— Vous avez inhalé une drogue puissante qui vous fait halluciner, expliqué-je en débitant le scénario convenu d’avance. Je vais vous aider à l’éliminer plus rapidement.
— Que pourriez-vous faire que le temps et de l’hydratation ne pourraient résoudre ? rétorque-t-elle sceptique.
Une voix peut-elle contenir plus de doutes et de suspicion ? Forcément, il a fallu que je tombe sur une scientifique qui analyse tout, et surtout, veut tout comprendre, pfff. Ces humains, quelle plaie ! Plutôt que de lui répondre, je m’approche lentement, mais, méfiante, elle recule au fur et à mesure que j’essaie de l’atteindre. Jusqu’à buter contre le mur en deux secondes. Vif comme l’éclair, je fonds alors sur elle et m’empare de ses lèvres avant qu’un cri ne lui échappe. En tant que Djinn, la magie de l’air est en moi. C’est par
son souffle que je vais la faire fusionner à moi. Avec colère, je projette mon énergie dans sa gorge et aspire la sienne en un baiser sauvage et tumultueux à l’image de mon humeur. Ce n’est pas un échange comme cela devrait être, mais plutôt un combat entre nos langues qui s’entremêlent furieusement. Jusqu’à ce qu’elle me lance un coup de genou bien placé qui me fait la relâcher dans un cri étouffé de souffrance malvenue.
— Mais qu’est-ce qu’il vous prend ! s’écrie-t-elle en s’essayant la bouche d’un revers de main rageur. Pour qui vous prenez-vous ? Ne vous avisez plus jamais de poser vos sales mains sur moi ou vous le regretterez !
Malgré moi, je dois lui reconnaître un certain cran : juste devant mon nez, ses petits poings serrés tremblent d’indignation
contenue, mais elle affronte mon regard sans broncher.
— Qui êtes-vous en réalité ? demande-t-elle d’un ton inquisiteur. Jamais Lindsay ne se porterait garante pour un homme comme vous ! En plus, elle ne m’a jamais parlé de vous auparavant…
Malgré sa peur – et sa fureur –, le cerveau de cette humaine est vraiment bien calibré : il a repéré tout de suite les faiblesses de notre histoire… Ce n’est vraiment pas de chance pour moi, car ma
manœuvre, stoppée net par sa riposte, a partiellement échoué. Notre baiser d’air nous a liés, mais n’a pas dompté sa personnalité… Normalement, lorsqu’un Djinn fusionne, la magie fait en sorte que chaque moitié soit accro à l’autre : avec Bella, je n’avais qu’une envie, celle de la chérir et de la protéger. Et réciproquement. C’est la raison pour laquelle elle avait réussi à m’arracher la promesse de ne pas m’opposer à son exécution lorsque celle-ci était devenue inéluctable.
Pour elle, l’idée que je meurs la faisait plus souffrir que le pieu dans son cœur…
Clairement, là, vu l’envie que j’ai de secouer cette petite blonde humaine, la magie « déconne à plein tube » comme disent les humains fréquentant mon établissement ! Et si je ressens ça de mon côté, l’inverse doit être vrai également. D’ailleurs, sa moue pincée me confirme qu’elle n’est pas du tout « sous mon charme »… Je
vais devoir me résoudre au pire pour forcer totalement la fusion entre nous et tenir mon engagement vis-à-vis du Vampire : j’aurais mieux fait de me casser une jambe plutôt que d’accepter le pire contrat de ma vie !