Rebecca
Je reviens à moi péniblement, un goût amer sur la langue et le corps endolori : où suis-je ? que s’est-il passé ?
— Je suis désolé d’avoir dû recourir à ce procédé, mais je n’avais pas le choix.
Quelle est cette voix ? Tentant de me relever malgré ma raideur, je mets quelques minutes à focaliser mon regard. Elvar ? Oui, c’est bien lui qui concocte une potion… Mais alors… Rassemblant mes souvenirs, j’essaie de comprendre. J’étais parvenue à lever le sort d’isolement sur sa cage de fer après le départ d’Aidan et de la Sirène. J’avais bu une potion revigorante préparée par le Sorcier emprisonné et… rien. Je ne me souviens de rien ensuite !
— Que… que m’avez-vous fait ?
— Une potion de Blanche-Neige assortie d’une de camouflage, répond-il en continuant à mélanger le liquide dans la fiole qu’il tient à la main.
Par ironie, la Sorcière ayant créé la potion plongeant une personne dans un coma profond l’a renommée « Blanche-neige » en référence à un conte ancien où une princesse attendait son prince en dormant. Cette blague était restée… mais c’est une potion interdite ! Ce Sorcier que j’ai aidé n’a rien trouvé de mieux que de me remercier avec un sort aussi dangereux ?! Parce que le cœur se ralentit tellement qu’il y a un risque qu’il s’arrête tout à fait. Une colère indignée m’embrase, me donnant la force de me mettre debout : je cherche du regard autour de moi ce que je pourrais bien lui balancer à la tête, mais il tient une fiole dans sa main en me jetant un regard narquois. Son haussement de sourcils semble me narguer, m’inciter à le frapper et je dois ravaler mon désir de l’incinérer sur place.
— Com… combien de temps ? coassé-je à cause de ma gorge sèche – et de ma rage intériorisée.
— Trois semaines. C’était trop important…
— Pourquoi ?! le coupé-je avec une indignation renouvelée en avançant d’un pas hésitant – mon équilibre étant plus que précaire.
— Vous auriez tenu à partir immédiatement, mais cela n’était pas possible pour moi. Ce n’est pas pour rien que j’ai poussé cet humain à s’en aller avec la Sirène sans attendre.
Évidemment que j’aurais voulu quitter cet endroit infernal ! Qui voudrait rester une seconde de plus que nécessaire dans cette prison ? Face à ma fureur perplexe, il consent à s’expliquer. Enfin, si on peut dire ça.
— J’avais besoin de ce temps pour mieux m’évader ensuite. Maintenant, nous pouvons partir, ajoute-t-il en buvant la potion qu’il vient de terminer.
Donc, ce n’était pas une arme offensive et j’aurais pu lui faire ravaler son attitude hautaine ! Enfin, essayer au moins : vu la faiblesse que je ressens, je doute de pouvoir lui faire grand mal à ce stade. Mais il ne perd rien pour attendre parce que, dès que je mettrai la main sur ma pochette, j’ai plein d’idées qui me viennent à l’esprit : moi aussi, je connais les formules des potions interdites… Je me demande ce qu’il a bien pu prendre avec celle-là ? Mais je balaie cette question, car, dans le fond, je ne veux pas savoir, trop obnubilée par un seul objectif : sortir d’ici ! Mon corps proteste, mais finit par avancer. Je repousse alors la grille de la cage en soupirant intérieurement de soulagement lorsqu’elle s’ouvre.
— Vous me demandiez pourquoi j’avais pris fait et cause pour un humain ? lancé-je d’un ton aigre en passant devant lui. Eh bien, vous avez votre réponse. Jamais Aidan ne m’aurait rendue inconsciente et à la merci de je ne sais quoi pendant tout ce temps ! Je vous ai aidé et c’est comme ça que vous me remerciez ? En me retenant contre mon gré, sous emprise en plus ?! C’est à cause d’individus comme vous que les Sorciers ont une si mauvaise réputation dans le monde occulte !
Il me tend quand même un peu d’eau et me suit sans se soucier de mes propos acerbes, ce qui ne me rend que plus furieuse. Trois semaines ! Est-ce qu’Aidan m’aura attendue au Cercle de Dante aussi longtemps ? Ou, sans nouvelle de ma part, aura-t-il abandonné ? Pourrai-je compter sur l’aide du Djinn pour fuir enfin cette vie définitivement ? Parce que le Grand Coësre ne va pas me lâcher non plus comme ça. Et malheureusement, il n’est pas le plus grand danger dont je doive me préserver, même si c’est le plus immédiat. Tout en ressassant ces pensées, j’arrive enfin à sortir de cette pièce maudite, mais m’arrête lorsque deux tunnels se présentent à moi. Droite ou gauche ? J’essaie de me remémorer par où nous sommes arrivés avec Aidan. Mais j’étais dans un tel état à ma sortie du caisson que tout est flou dans mon esprit. Sentant Elvar bouger dans mon dos, je me retourne pour le voir me passer devant et se diriger vers le tunnel de gauche. Sans hésitation ! Comment peut-il être si sûr de lui alors qu’il était emprisonné dans cette cage ? Enfin, soi-disant… Dois-je le suivre ?
Toutefois, je n’ai pas le temps de prendre une décision qu’une douleur aiguë me transperce soudain la cheville ! Poussant un cri aussi bien de douleur que de surprise, je baisse les yeux pour réaliser qu’un rat vient de me mordre ! Il est monstrueusement gros… avec des yeux… Cette lueur… Non ! Ce n’est pas possible ! Parce que je ne connais que trop bien ce regard et il est synonyme de malheur ! J’essaie frénétiquement de secouer ma jambe pour chasser ce… cette bestiole qui est plus que ça. Sans succès. Tout à coup, ma magie, celle que j’ai passé ma vie à enfermer au plus profond de moi, s’éveille brutalement ! Et soudain, je comprends ! La potion Blanche-Neige a dû contrer celle qui me protégeait de ma malédiction ! Elle était active dans mon sang, approvisionnant le cœur, mais si ce dernier n’a pas été irrigué normalement pendant tout ce temps… Désespérée, je lutte… cependant, dans mon état, c’est un combat que je perds en quelques secondes : après toutes ces années à résister, le mal va finalement gagner. On ne peut pas lutter contre sa destinée…
Mon cri de désespoir se perd dans l’explosion de magie qui secoue tout le bâtiment !