Dompter un Dragon à Noël ! OSEF Noël ! T3

Drakos

 — Comment ça, le tableau a disparu ? m’énervé-je.

Je me trouve dans ma grotte du Kilimandjaro et discute au téléphone – vive mon pouvoir qui me permet d’alimenter mon refuge en électricité – avec mon frère Löng qui vient de m’informer
que l’alarme, posée par ses soins sur la caisse du tableau à expertiser, s’est déclenchée. Je n’écoute qu’à moitié ses explications, car je lis en même temps le SMS que je viens de recevoir.

 « Marchandise avariée. Retirée pour destruction comme stipulé dans notre règlement. 1er avertissement avant bannissement. »

 Quelle est cette perfidie ? De rage face à la perte monumentale d’argent que représente cette œuvre, je me téléporte à New York
dans le loft qu’occupe mon frère et Angeline, une Ange qui est devenue sa Liée – ou sa femme comme l’appellent les humains, lors du dernier Concile des Immortels.

— Montre-moi les vidéos de surveillance, ordonné-je à peine arrivé. Le Marchand vient de m’informer que c’est lui qui a pris le tableau pour le détruire. Au prétexte que ce serait un faux !

— Comment peut-il faire une chose pareille ? s’étonne Löng. Nous avons fourni une copie du certificat d’authenticité établi par Sotheby’s en 1927. Ce tableau avait été pillé par les nazis et caché dans une collection d’une vieille famille américaine par la suite.

— Je sais bien tout ça, réponds-je d’un ton coupant. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi l’Expert n’a pas réussi à confirmer l’origine de cette pièce ! Parce que le Marchand s’appuie uniquement sur sa parole pour les œuvres importantes.

— Tu penses que l’Expert s’est trompé ? Ou nous ?

— Tu as fait un travail de recherche impeccable sur ce tableau. Je suis certain que nous avons été floués par cet homme et je veux comprendre pourquoi. À quoi cela mène-t-il pour le Marchand et l’Expert de faire capoter notre future vente ? Cette œuvre vaut des
millions et ils vont perdre une sacrée commission de leur côté.

— C’est vrai que c’est pas logique, réfléchit mon frère. Vu comment ils occupent le marché depuis longtemps et tout ce qu’ils ont déjà amassé, ils doivent avoir besoin d’argent en continu.

— Tout comme nous, approuvé-je. Eux, je ne sais pas pourquoi, mais nous, nous en avons besoin pour maintenir nos couvertures sur Terre. Je viens encore d’apprendre qu’une nouvelle expédition sur ma montagne était en préparation par une fondation
humaine et il va falloir graisser de nombreuses pattes pour que les touristes ne découvrent pas ma grotte. Avec leurs inventions de plus en plus sophistiquées, les humains arrivent à détecter beaucoup de choses aujourd’hui malheureusement.

— Peut-être devrais-tu demander à nos alliés grecs s’il n’existe pas un moyen approprié de contre-mesure ? Tisiphone[1] est
immergée dans le monde humain dont elle suit tous les progrès technologiques avec efficacité.

— Cette Furie cherche surtout des moyens plus sophistiqués d’appliquer les vengeances qu’elle accepte dans son agence Coups & Foudres.

— Sans doute aussi. C’est sa couverture avec son frère Cupidon[2] après tout, réplique Löng en haussant les épaules. L’un remplit des missions d’amour et l’autre de punition, en accord avec leur nature. Mais ils sont peut-être au courant de choses qu’on ignore. On n’a peut-être pas cherché suffisamment vu qu’on est surtout spécialisés dans les objets d’art. On devrait se pencher un peu plus sur les nouvelles technologies. Tisiphone me faisait remarquer il n’y
a pas si longtemps que nous devrions nous intéresser aux développements mis au point par tous les fournisseurs du Pentagone.

— Bien que cela m’arrache la langue de le dire, ce n’est peut-être pas une mauvaise idée de sa part, approuvé-je à contrecœur. Si on peut mettre la main sur des systèmes humains qui nous facilitent la vie sur Terre, cela te déchargerait un peu. Je sais que tu ne veux plus de cette vie, mon frère. Je te remercie de ton aide et
te promets de te trouver un remplaçant bientôt.

— Cela fait quasiment un an que tu me dis ça, soupire-t-il. Il m’est difficile de gérer le bar et de continuer à m’investir dans les recherches pour le clan. Cependant, il est hors de question de te laisser tomber maintenant alors qu’il y a une situation de
crise.

— Est-ce qu’on pourrait avoir des infos par Angeline ou son frère, l’Archange ?

Je suis vraiment désespéré pour imaginer demander de l’aide à des Anges même s’ils sont plus ou moins de la famille. Et pas n’importe lesquels, l’ancienne Traqueuse du conseil archangélique et l’Archange de New York. Si on m’avait dit un jour que j’allais les avoir pour belle-sœur et beau-frère par alliance, j’aurais écrasé le fou osant suggérer une telle aberration. Et pourtant, je dois faire avec. Tout ça parce que mon petit frère n’a rien trouvé de mieux que de s’enticher de sa belle.
Mais bon, comme elle le lui rend bien, j’essaie de l’accepter même si
franchement l’amour m’insupporte autant que Noël peut agacer la Furie. Qui a besoin de sentiments ? Pas nous. Surtout quand on lutte pour la survie de notre clan malmené depuis des siècles. La trêve avec les Anges est un répit bienvenu même si payé au prix fort. Je dois faire face à la grogne parmi les miens qui sont outrés par cette alliance contre nature et nous protéger des humains
tout en tenant les autres communautés magiques en respect. Bref, j’ai bien trop à m’occuper pour attacher de l’importance à ces fadaises.

— Dans la mesure où tu as rempli la commande spéciale pour l’Archange Mickael, je pense qu’il y a moyen d’impliquer ces Anges dans l’identification de ce Marchand et de son Expert, répond Löng avec un petit rictus moqueur, car il sait parfaitement ce que je pense. Jusqu’à maintenant, nous avons fait chou blanc et déduit
uniquement qu’ils devaient sans doute être des Immortels.

— Ta Liée a peut-être des moyens différents de remonter les pistes. Montre-lui les vidéos même si je doute qu’on trouve quelque chose de probant. Jusqu’ici, ils ont toujours réussi à rester hors champ des caméras. À croire qu’ils savent à l’avance où elles sont placées, ce qui est sans doute le cas vu que ce sont eux qui choisissent
les lieux d’expertise.

— C’est bien pourquoi tu as imposé le nôtre cette fois-ci. En tout cas, heureusement que ce n’est pas le Michel-Ange que nous avons livré. Tu as été bien inspiré de vouloir faire monter les attentes en le gardant pour la fin.

Oui, ça, c’était le plan. Plusieurs objets exceptionnels de style et d’époque différents afin d’attirer un maximum d’acheteurs pour qu’ils se battent entre eux dans l’espoir de faire flamber les prix. Autant dire qu’avec ce retournement de situation inattendu, notre
position et notre réputation sont plus que remises en question ! Je suis sur le point de repartir lorsque mon frère m’arrête.

— Attends, mon programme d’analyse vient de trouver quelque chose. Regarde, il me signale que cette femme sort du musée, mais sans en trouver une trace en entrée.

— Pourquoi n’est-elle pas ressortie ni vu ni connu si elle s’est rendue là-bas en cachette ? Pourquoi prendre le risque de se faire capturer par les caméras de sortie si elle a effectivement voulu
cacher sa venue ? À mon avis, elle a dû entrer avec un groupe et aura été masquée. Elle semble relativement petite, non ? remarqué-je en me penchant sur l’écran.— C’est la perspective qui te donne cette impression. Mais selon mon programme, elle mesure 1,77 m.
Là, elle porte des bottines à talon, donc avoisine plutôt le 1,80 m. Pour une humaine, elle est plutôt dans la moyenne haute.

— Que donne la reconnaissance faciale ? Avec un visage pareil, elle ne doit pas passer inaperçue.

Car malgré la mauvaise qualité de la vidéo, je dois admettre qu’elle est splendide. C’est la raison pour laquelle je doute qu’elle ait quoi que ce soit à voir dans cette histoire : dans le milieu parallèle de l’art, les gens font tout pour être passe-partout. Or cette femme ne l’est absolument pas. D’ailleurs, plus je la regarde et plus elle me titille, mais je ne saurais mettre le doigt sur ce qui fait qu’elle déclenche mon alarme interne.

— Essaie d’améliorer la résolution de l’image, pressé-je mon frère. Il faut qu’on arrive à l’identifier pour savoir si c’est une piste réelle ou pas.

Parce qu’une force en moi me pousse à la retrouver, ce qui est tout à fait inhabituel. Pourquoi une humaine aurait-elle un effet quelconque sur moi ?

— Je m’en occupe, mais d’ici quelques jours, je vais être en pleine préparation de la soirée de Thanksgiving…

— Si tu ne trouves rien d’ici là, je prendrai le relais, rétorqué-je en levant les yeux au ciel – quelle idée de suivre les fêtes humaines franchement ! – Il est hors de question de laisser cette histoire sans en comprendre les tenants et les aboutissants. Le Marchand n’a qu’à bien se tenir, car je vais lui faire passer un sale quart d’heure quand je lui mettrai la main dessus.

Je pense bien « quand » et non pas « si », car aucune proie ne m’a
jamais échappé depuis tous ces millénaires d’existence. Je vais partir en chasse !

— Appelle-moi dès que tu as du nouveau, reprends-je avec humeur. Pendant ce temps-là, je vais me rendre au musée voir si je peux renifler une piste sur place.

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 Impossible, mais vrai, je ne trouve rien. Les seules traces persistantes que je détecte sont celles d’humains travaillant au sein de l’établissement. Je les ai tous identifiés avant de choisir ce lieu et a priori ils sont au-dessus de tout soupçon. Décidant de refaire le trajet de la jeune femme sur la vidéo, j’en suis également pour mes frais. Trop de personnes en si peu de temps ne me permet pas
de faire le tri comme j’ai pu le réussir dans la réserve et surtout le coffre.

Plus frustré que jamais, je retourne au loft pour y être accueilli par Angeline, la Liée de mon frère.

— Tu sais, je disais justement à Löng que cette femme me rappelait quelqu’un, déclare-t-elle avec une petite moue. Mais cela me semble hautement improbable, car je l’associe à celle que j’ai entraperçue à Los Angeles il y a deux ans lorsque je pistais la Lance sacrée…

Ah, cela remonte au moment où elle était en mission mandatée par l’Archange Gabriel pour retrouver un artefact chrétien qui devait aussi être vendu par le Marchand. Là aussi, il y avait eu une sacrée embrouille. Mais c’étaient les Anges qui en avaient fait les frais à l’époque. Cela serait-il une simple coïncidence ?

— En même temps, tu étais sur la piste d’un trafiquant d’art religieux, en quoi cela te semble-t-il improbable ?

— Parce que j’aurais juré que cette femme était humaine. Or, d’après ce que vous avez trouvé, vous semblez, ton frère et toi, convaincus que l’Expert et le Marchand sont des Immortels. Donc cela n’est pas possible.

— Peut-être est-elle spéciale comme Chloé, la Liée de ton frère ? réfléchit Löng en venant l’enlacer.

L’Archange Mickael a succombé au charme de Chloé qui s’est révélée être une humaine ayant une affiliation angélique lointaine. L’hypothèse pourrait se tenir même si effectivement les probabilités sont infimes. Alors quoi ? Si tel était aussi le cas de cette inconnue, de qui serait-elle la descendante ? Encore un plumé qui aurait
commis le péché de chair avec une lignée d’humains ayant perduré au travers des siècles ?

— Qui parmi les tiens pourrait encore avoir semé une descendance oubliée ? demandé-je sarcastique.

— La découverte de l’existence de Chloé a ébranlé la communauté angélique, soupire Angeline. Cependant, rien d’autre n’a transpiré parmi les miens a priori. Le conseil archangélique a passé
tout le monde au crible et n’a rien détecté.

— Elle le sait d’autant plus qu’ils l’ont rappelée, ajoute mon frère d’un ton désapprobateur. En tant que Traqueuse, même si elle a dû quitter le jardin d’Éden pour vivre avec moi, elle leur était bien trop précieuse avec sa capacité à détecter le mensonge chez un Immortel.

— Je ne pouvais pas dire non, réplique-t-elle d’un ton patient, nous en avons déjà discuté maintes fois…

— Ce n’est pas tant le fait que tu les aides qui m’agace, rétorque-t-il avec une petite grimace, mais la façon dont tu le fais. Tu n’es pas à leur disposition juste quand ça les arrange. Tu n’as pas à accepter leur requête quand ils ont besoin de toi alors qu’en parallèle ils t’ont reniée et t’ont privée ton statut au sein de leur communauté. Ils ont consenti un compromis vis-à-vis de ton frère en le nommant
interlocuteur des Immortels pour eux, mais ils n’ont pas eu la même délicatesse vis-à-vis de toi.

— J’ai besoin de me rendre utile, murmure-t-elle avec un petit sourire fragile. Depuis deux ans, je vis un rêve avec toi et je ne le regrette pas un seul instant. Toutefois, je n’ai plus de rôle défini au sein des Immortels et parfois, je tourne en rond.

— Je le sais bien, la rassure mon frère en lui caressant doucement une aile. Tu es faite pour rendre la justice, pour mener des enquêtes et poursuivre des méchants. C’est bien pour ça que ça me rend dingue que ces foutus Archanges ne fassent appel à toi que
quand ils sont dans la panade. Ils devraient être suffisamment intelligents pour réaliser tout ce que tu peux leur apporter. Ils auraient dû faire une exception à leur règlement à la noix .

Parce que les Anges ne fraternisent pas avec les autres groupes immortels, ce qui est la raison pour laquelle Angeline et son frère ont été exclus du jardin d’Éden. L’une pour avoir osé aimer un Dragon et l’autre pour avoir soutenu sa sœur dans son « erreur de jugement ».

Les propos de Löng me donnent une idée que je n’aurais jamais envisagée avant le dernier Concile et tout ce qui s’est ensuivi. Car désormais, même si nous nous méfions encore les uns des
autres, nous pouvons au moins communiquer et pactiser avec quelques divinités choisies.

— Si les Archanges sont suffisamment stupides pour laisser tes capacités dans l’ombre, autant les mettre à profit pour qui en aurait besoin, non ? proposé-je à ma belle-sœur.

— À quoi penses-tu ? demande-t-elle intriguée.

— Tisiphone et Cupidon tiennent une agence sur Terre pour répondre aussi bien aux demandes des humains que des Immortels sur les sujets de la vengeance et de l’amour. Pourquoi n’ouvrirais-tu pas la tienne, spécialisée dans les investigations ? Une sorte de détective privé. Je me porte volontaire pour être ton premier client.

La surprise et l’excitation s’emparent d’Angeline à cette proposition qu’elle n’avait pas envisagée.

— Que voudrais-tu que je fasse ?

— Va interroger les Gobelins et Nyx[1], la déesse de la Nuit pour mon compte. Les uns ont un réseau d’information dans les sous-sols de la ville et l’autre peut écouter tout ce qu’il se dit dans les
ténèbres. Avec leurs oreilles qui traînent partout, ils te donneront peut-être une piste sur Le Marchand ou son Expert. Moi, ils ne me répondront pas, mais toi… tu es amie avec Chloé qui a aidé les Gobelins et avec Cupidon qui est le fils chéri auquel Nyx ne peut rien refuser. Dans la mesure où tes capacités de Traqueur te permettent aussi de savoir quand un Immortel te ment… Pendant ce temps-là, je veux que Löng se penche sur la femme et trouve son repère à New York.

— En même temps, tu persistes à vivre reclus dans ta montagne, intervient mon frère goguenard. Si tu venais plus souvent aux soirées que j’organise au bar, tu pourrais tisser des relations par toi-même.

Löng m’a surpris – il nous a tous surpris – quand il a ouvert le Trick & Drink pour accueillir une clientèle aussi bien humaine que magique. Ses évènements thématiques connaissent un grand succès dans toutes les communautés, mais hormis l’inauguration, je dois reconnaître que j’évite de m’y rendre quand il y a du monde. Ce qui revient à dire toujours vu que c’est plein en permanence. Parce
que parler avec des gens… pouah !

— Considère que c’est fait, car que ne ferais-je pas pour mon si charmant beau-frère ? déclare Angeline avec des yeux rieurs.

Moi, le Premier Dragon de notre clan, je suis taquiné régulièrement par une Ange insolente sur mon côté « grumpy ». Alors que je suis juste réaliste sur l’inutilité des relations sociales : rien ne vaut une grotte isolée ! Comme je regrette le temps où j’aurais pu lui
arracher les plumes sans remords…

[1]
Divinité de la nuit – panthéon grec.