Boston Mafia T3 : Attraction Létale

Boston Mafia T3 : Attraction Létale

Damir

Quelques heures plus tôt

L’air moite de Guayaquil[1] colle à ma peau alors que j’observe la villa de Doyle à travers mes jumelles longue distance depuis mon poste d’observation, une bouche de ventilation sur un immeuble à deux cents mètres à vol d’oiseau. La chaleur ne me dérange pas – j’ai connu pire dans les montagnes d’Afghanistan, et puis l’Équateur est un terrain de chasse que je connais bien grâce à mes missions précédentes. Mon corps est un outil affûté et ses sensations juste des informations à traiter.

Cela fait dix jours que je surveille la propriété pour planifier mon attaque. Même si le dossier sur ma cible est plutôt complet, j’ai appris à tout rechecker par moi-même et je prends toujours le temps avant de frapper. Des heures à mémoriser les rotations des gardes, les angles morts des caméras, les habitudes de ma cible. Nolann Doyle, cinquante-trois ans, baron de la drogue présumé mort depuis des années et ayant réussi à fuir les autorités pour se réfugier au cœur d’un cartel, loin du champ d’action de la DEA. D’où le fait qu’on ait fait appel à moi, expert dans ce domaine pour la CIA depuis sept ans maintenant. Mon objectif : son élimination. C’est apparemment une opération conjointe et chacune des agences se dispute la prépondérance de juridiction : la drogue d’un côté, l’international de l’autre. C’est mon contact à la DEA – Sean McCarthy – qui m’a demandé pour cette mission. J’avais eu affaire à lui dans une mission déjà conjointe, et nous avions gardé contact. Il y a quelques mois, j’ai même dû aller dans le Montana pour protéger une cible au lieu de l’éliminer. Bon, je suis quand même reparti avec un corps parce que c’est ce que je fais. Avec «ce service», l’agent m’en doit un désormais, et je compte bien le réclamer le moment venu. Comme avec tous mes contacts que j’entretiens depuis que je peux tenter de modeler mon destin.

Un flash traverse mon esprit – l’odeur de la poudre, les cris dans les rues de Sarajevo. J’avais huit ans la première fois que j’ai vu quelqu’un mourir violemment – ma mère. Je le chasse rapidement, le passé n’a pas sa place pendant une mission. Pour recouvrer mes esprits, je vérifie mon équipement une énième fois comme un rituel sacré. Glock 19 avec silencieux, deux chargeurs supplémentaires, couteaux tactiques à la ceinture et à la cheville, pastilles de C4 dans mon gilet de combat. L’uniforme des gardes de Doyle inspiré de l’armée me permettra de me fondre dans le décor. Mon contact doit me présenter au recruteur des narcos cet après-midi afin que je puisse me glisser dans l’équipe de surveillance de la résidence pour l’évènement prévu ce soir. J’ai éliminé à l’aube un membre prévu aujourd’hui sur leur planning afin de me donner une couverture dans cette infiltration basique. Pour faire bonne mesure, mon agent de liaison à la CIA a fait en sorte qu’un second garde soit hors circuit aussi afin de ne pas soulever de suspicion : celui-là sera retrouvé ivre mort dans une chambre miteuse afin de justifier son absence. Si un homme ne se présente pas, cela peut soulever des suspicions envers un nouveau, mais deux? C’est juste pas de chance. C’est idiot, mais ça fonctionne, car les agences ne risquent pas plusieurs agents à la fois en général et les narcos le savent.

— Météo confirmée, je murmure dans mon micro dissimulé à mon poignet. Le soleil brille même si des nuages sont prévus dans trois heures.

Une façon d’annoncer que l’opération est en route et que je devrais être sur place dans ce laps de temps à mon contact de la CIA qui ne répond que par un bref clic pour me signifier qu’il a bien reçu le message. Nous ne communiquons que le strict nécessaire : c’est ainsi que je travaille depuis toujours, car c’est le moyen le plus sûr de ne pas être compromis et de rester en vie. Alors que je devrais redescendre pour me préparer à mon rendez-vous, du mouvement attire mon attention. Une femme apparaît sur la terrasse – grande, brune, sublime. Sophia Di Marco. Le dossier la décrit comme la protégée de Doyle, mais son langage corporel raconte une autre histoire. Une prisonnière, pas une alliée si j’en juge par leurs interactions que j’ai pu observer, fasciné malgré moi par cette déesse aussi froide que dangereuse. Elle se tient en alerte comme quelqu’un qui s’attend toujours à une attaque. Posture que je reconnais parfaitement même si elle la cache sous une attitude impassible – je l’ai trop souvent vue chez les enfants de la guerre. Cette femme a connu la violence intime, celle qui ne laisse pas de traces visibles, mais change à jamais votre façon d’être.

Je secoue la tête, agacé par cette observation parasite : l’empathie est malvenue et surtout dangereuse dans mon métier. Je suis le nettoyeur, pas un travailleur social. Ma seule préoccupation doit être l’élimination de Doyle. Même si cette femme m’intrigue avec son air détaché et pourtant avec un feu intérieur que je peux sentir même à cette distance : c’est dans son regard quand elle pense que personne ne l’observe…

La chassant de mon esprit avec ma discipline de fer forgée dans le feu et le sang, je me mets en mouvement. Quelques heures plus tard, je suis dans la place comme prévu et je joue mon rôle en attendant le moment propice pour éliminer ma cible : la fin de soirée sera idéale lorsque l’alcool et la fatigue auront émoussé la vigilance et les réflexes.

— Nuevo[2], tu prends le poste est.

Je hoche la tête vers le chef de la sécurité, un ancien militaire colombien nommé Rodriguez. Mon espagnol est parfait, sans accent. Quinze ans d’opérations en Amérique latine vous apprennent à vous fondre dans le décor. La CIA n’a fait que parfaire ce que la guerre avait commencé.

Je prends position, observant la villa qui s’anime pour la soirée à venir. Les invités commencent à arriver – narcotrafiquants, politiciens corrompus, la fine fleur du crime organisé équatorien. Sophia Di Marco réapparaît, transformée en hôtesse parfaite. Sa robe rouge sang attire tous les regards, mais je note la tension subtile dans ses épaules, la façon dont ses doigts se crispent sur son verre de champagne. Une survivante qui joue un rôle. Nos regards se croisent un bref instant dans la soirée quand elle vient chercher refuge sur la terrasse, mais je force mon attention à se focaliser ailleurs pour ne pas me laisser capturer par ces yeux verts : ils sont froids et calculateurs, mais j’y ai aussi décelé… de la lassitude teintée de désespoir. Ce contact n’a duré qu’une fraction de seconde, mais il m’a touché et je dois me ressaisir. La mission d’abord. Toujours la mission.



[1] Capitale de l’Équateur.

[2] Signifie «le nouveau».

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