Ethan Carter
Montana
Non, mais je fais un cauchemar éveillé ! Qu’est-ce que c’est que cette diva ? Je dois me coltiner une nana en robe de soirée et escarpins ? C’est une mauvaise blague ! Cherchant une caméra cachée, je soupire de frustration et d’exaspération en comprenant que non, c’est bien « l’experte » à qui je dois servir de taxi. Et de baby-sitter par la suite, vu que je dois l’emmener explorer le terrain afin de trouver la solution au braconnage sévissant à l’heure actuelle dans la région. Elle est censée m’aider, mais comment pourrait-elle seulement marcher dans la forêt sans se tordre une cheville dans une tenue pareille ? Tu parles d’un soutien… elle m’a tout l’air d’être un boulet ! Sans doute une riche fille à papa qui veut jouer à l’écologiste, pfff…
En plus, elle est d’une humeur massacrante si j’en juge la façon dont elle se plaint au comptoir de la compagnie. Hé bé, ça ne va pas être une sinécure et je regrette d’avoir demandé de l’aide sur cette affaire. Mais comme Sinead a fait appel à cette association pour contrer le complexe hôtelier qui nuit à l’environnement, elle m’a suggéré de faire d’une pierre deux coups vu les compétences offertes.
Ah, sa valise s’est perdue dans l’escale, et son bagage-cabine a été trempé par une cafetière renversée si je décrypte bien l’histoire. Je peux comprendre sa mauvaise humeur, mais elle aurait dû s’habiller de manière appropriée en premier lieu. Soufflant de manière exagérée exprès, je la somme de se dépêcher, car on a de la route à faire, et que récriminer contre les gens ne fera pas avancer les choses.
— La compagnie vous fera parvenir votre valise demain à l’adresse suivante, argué-je en lui donnant une carte du Cottage Village où elle va loger. Je n’ai pas toute la journée, donc on y va, ma petite dame.
— Je suis Lila Morgan et non votre petite dame, répond-elle avec hauteur en se redressant encore plus si c’était possible. Vous feriez mieux de vous en souvenir si vous voulez que nous travaillions ensemble.
Son intonation coupante me hérisse le poil : avec sa silhouette de mannequin et son allure sophistiquée, elle me fait penser à mon ex-femme. Le même genre d’attitude qui me crispe : elle doit passer au moins trois mois au village de cottages au bord de Burns Lake et je sens que cela va être trèèèès long ! Comment va-t-elle suivre la marche ou même supporter les bivouacs en pleine montagne ? Je passe plusieurs journées d’affilée seul dans la nature, loin de tout confort. Moi, cela me va, car j’aime la solitude dans l’environnement sauvage, mais cette diva, là ? Aucune chance ! En quoi peut-elle être experte, si ce n’est en mode ? J’espérais une scientifique écologiste et j’ai en face de moi une mondaine, grrr… Lui indiquant la direction du parking d’un mouvement de menton, je pars sans regarder si elle me suit : autant lui faire comprendre comment cela va se passer dès le départ.
Cependant, au bout d’une dizaine de mètres, je n’entends toujours aucun mouvement derrière moi. Jetant un œil, je la vois avec stupéfaction se diriger dans la direction opposée ? Que fabrique-t-elle encore ? Si elle ne se repère pas dans un aéroport, je n’ose même pas imaginer ce que ça va donner dans la montagne. Pestant intérieurement, je la rattrape à grandes enjambées : elle s’est arrêtée devant un loueur de voitures.
— Mais qu’est-ce que vous fabriquez ? demandé-je sans cacher mon agacement.
— Dans la mesure où vous êtes d’aussi bonne compagnie, je prends ma propre voiture, répond-elle d’un ton sec. Après la journée que je viens de passer, je ne suis vraiment pas d’humeur à supporter le charme local.
Sa voix a pris une intonation sarcastique au possible : mon Dieu, donnez-moi la patience…
— Vous ne savez même pas où vous devez aller, objecté-je en levant les yeux au ciel.
— Vous avez eu l’amabilité de me fournir l’adresse, donc si, rétorque-t-elle avec un petit sourire indulgent qu’on adresse aux demeurés.
Elle secoue la carte donnée au comptoir de la compagnie aérienne sous mon nez avec un malin plaisir.
— De toute façon, dans la mesure où j’aurai aussi besoin d’un moyen de locomotion sur place autant en prendre un maintenant, enchaîne-t-elle pour couper court à mes protestations. Ce sera plus pratique de la rendre ici avant de reprendre l’avion. De plus, cela vous évitera un trajet supplémentaire. J’ai bien compris que votre temps était précieux, cher monsieur.
Cette attitude hautaine, ce ton doucereux, mais également venimeux… Tout chez elle me balance le souvenir de mon ex-femme. D’une certaine façon, même si elle est différente physiquement, elle lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Elle a le don d’être insultante sous une façade polie et je dois me retenir de la secouer comme un prunier tant elle m’énerve.
— Je vous attends à la sortie du parking de location, lancé-je d’un ton sec en haussant les épaules.
Mon attitude reste nonchalante alors que je pense déjà à tous les endroits où je pourrais l’enterrer sur la route… Au fond, ce n’est pas plus mal comme ça : elle sera sans doute plus à l’abri dans une autre voiture que si je l’étrangle d’exaspération dans la mienne…